Si je suis allée au FSM 2016, qui a lieu du 9 au 14 août à Montréal, ça a été un peu beaucoup par accident. Un accident qui s’est avéré un baume pour mon âme.
Mais d’abord une digression.
Enfant, j’ai vécu avec un père qui, après avoir combattu lors de la Seconde Guerre Mondiale, en est revenu troublé par une anxiété profonde. Une anxiété qui se manifestait par de l’irritabilité, des montées de pression, de l’hypervigilence, des préoccupations sans liens avec la réalité, et une vision du futur toujours un peu catastrophique.
Cette peur de fond constante jumelée avec un trop plein de non-dits, qu’il portait comme une deuxième peau, n’ont pu faire autrement que de devenir mon héritage. Jusqu’à faire parti de mon ADN. Jusqu’à se manifester dans ma vie, entre autre par cet événement fondateur que fût ce cauchemar que j’eus alors que je n’avais que 6 ou 7 ans.
Je suis dans une clairière, au milieu des herbes hautes, habillée de ma robe préférée : une robe blanche avec un corsage en nid d’abeilles, réalisé avec des fils bleu et rouge. Je jouis du soleil sur ma peau et du vent dans mes cheveux, maintenant tout ébouriffés, quand tout à coup une ombre me prend par-derrière, couvrant tout le ciel au-dessus de ma tête. Transie par le vrombissement d’un avion qui se dirige aveuglément vers sa cible, je suis statufiée d’horreur.
Ce cauchemar récupérant, dont je n’ai pas été capable de parler à l’époque, m’avait non seulement enlevé les mots, mais il avait fait naître en moi une croyance extrêmement dévastatrice, paralysante. Si les méchants, c’est-à-dire Hitler et compagnie, commettaient des horreurs, c’était dans l’ordre des choses, puisque c’étaient des méchants. Mais si les bons, c’est-à-dire les alliés, les Américains, faisaient la même chose en lançant des bombes atomiques sur des femmes et des enfants, alors nous étions tous condamnés, puisque quoi qu’on fasse, le Pire allait toujours gagner.
Et le Pire n’arrêta pas là son travail de sape chez moi. Il y a eu cette photo en ’72 qui me passât sous les yeux d’une jeune fille qui courait nue, brûlée, après que son village ait été bombardé au napalm. Elle avait 9 ans, j’en avais 13. Puis avec les annnées, alors que je croyais que la guerre s’atténuait, il y eut tous ces documentaires, ces reportages télé sur la destruction de la planète et de ses écosystèmes, comme les forêts d’Amazonie, la coupe à blanc dans le Nord du Québec, la fonte des glaciers. Enfin au début des années 2000, je fît l’expérience directe de la pollution à outrance. Je contratai une maladie d’hypersensibilité environnementale, qui fît en sorte que je dus porter, pendant 4 ans, un masque médical pour sortir de chez moi.
Mais ce qui me tuait réellement à petit feu, c’était que le Pire me tenait dans un état de conflit perpétuel puisqu’à chaque bon coup que je commettais – toujours animée, malgré tout, par le désir de faire du sens, de vivre autrement, de co-naître une justice pour l’ensemble – je me tapais une crise d’anxiété de même ampleur, sur l’échelle des bons coups, me demandant toujours si en fait je ne venais pas de contribuer encore une fois au Pire.
Enfin jusqu’à ce que j’en prenne conscience et que je talonne cette vertigineuse perte de prise en charge de ma réalité jusque dans ses moindres replis.
Ce qui fait, qu’encore à l’occasion, si on ne me sonne pas les cloches, je ne suis pas toute là.
C’est donc probablement à cause de cette habitude récalcitrante, qu’à part la marche et le spectacle d’ouverture, je n’avais pas mis le FSM à mon agenda. Il a fallu que je lise en détail toute la programmation, après qu’une amie m’ait invitée à y venir le mercredi, pour que j’y découvre la richesse de tout ce qui y était offert, – I was flabbergasted – et qu’enfin je m’organise pour ne pas manquer cette occasion exceptionnelle d’échanges, d’apprentissages et de rencontres. Sans compter que c’était la première édition depuis les 12 dernières, depuis le premier forum en 2001 à Porto Alegre au Brésil, que l’événement avait lieu dans un pays du Nord. Et c’était chez moi, dans ma cour.
Alors autant que faire ce peu, j’ai participé à des ateliers pratiques, de petits groupes d’échange, et j’ai assité à quelque unes des grandes conférences. J’ai découvert Place to B, une communauté de “narrateurs du changement“ aux profils très variés (journalistes, communicants, artistes, graphistes, chercheurs…), où je suis retournée avec grand plaisir, inspirée par leur travail et leur approche. J’ai engagé des discussions avec des participants, des bénévoles, des organisateurs d’atelier, qui ne faisaient pas que rêver d’un monde meilleur, mais qui avait une longue, ou une plus ou moins longue expérience de mobilisation, de résistance, de collaboration et de succès, et par l’entremise de qui le FSM a pris corps en moi.
Mais surtout, ce qui a pris corps, ça été la réalisation que le Pire avait, dans le monde incarné, un adversaire de taille.
Mais surtout, ce qui a pris corps, ça été la réalisation que le Pire avait, dans le monde incarné, un adversaire de taille. Des milliers de personnes présentes, et des millions d’autres à travers le monde, dont les initiatives, les organismes, les aspirations avaient à cœur le bonheur des êtres, l’inclusion de tous et chacune, le caractère sacré de la planète. Des gens dont la sollicitude était d’une évidence, rien à voir avec l’avidité, le mépris ou l’exclusion du Pire.
Un vent d’egagement qui a fait faire un bond à mon âme : d’une perte totale de confiance en notre humanité à la conscience que nous étions déjà en mouvement. Vers un monde plus libre, plus harmonieux, plus respectueux. Un monde plus aimant se donnant les moyens de prendre soin, de chérir, d’honorer Tout ce qui est.
Crédit photo : © Place to B