Nathalie Lété : une oeuvre qui fait chavirer

Au mois de mars dernier, j’ai pris contact avec l’artiste Nathalie Lété pour savoir si je pouvais utiliser une des ses images comme fond pour mon site que j’étais en train de redessiner (une version antérieure au site actuel). Elle me répond que ce n’est pas possible, parce que ces images, qu’elle appelle goodies, sont offertes gratuitement  pour un usage privé seulement, question de droits d’auteur.

Je lui réponds que je comprends parfaitement et j’ajoute à ma réponse quelques lignes sur l’impact de son travail dans ma vie.

Elle me répond qu’elle aime ce qu’elle a lu, et qu’elle aimerait que je lui écrive un petit texte en échange de l’utilisation de son image.

J’accepte, parce que de prendre le temps de refléter sur son oeuvre sera une vraie joie pour moi.

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 Une oeuvre qui fait chavirer

Tu sais, ma belle, quand j’ai acheté l’assiette de Nathalie Lété POUR TOI, en décembre 2013, je l’ai fait parce que je voulais te laisser une autre trace d’une ces personnes qui ont fait partie de ma vie. Qui m’ont inspirée. Que j’ai connu personnellement ou par leur œuvre. Pour que tu puisses palper, lire, regarder et te faire une idée par toi-même de ce qui a soutenu ta grand-mère tout au long de son chemin.

Et Nathalie Lété est l’une d’elle.

Comment l’ai-je découverte? Je ne saurais te le dire, tu sais avec le web, tu passes d’un lien à un autre, tu tombes sur quelque chose qui te parle, ils te parlent de ce qui leur parle et voilà que d’une recherche sur le concombre, tu te retrouves à cliquer J’aime sur la page Facebook de Nathalie Lété.

Je sais juste que bien avant de la suivre sur Facebook, j’avais acheté son livre jeunesse J’ai descendu dans mon jardin et j’ai cueilli… dédié à ses deux coquins d’enfant, pour qu’ils ne boudent plus les légumes, et dans lequel j’ai fait la rencontre de personnages succulents, Hercule Poireau, Mamie Groseille, Michou chien potager et bien d’autres. Puis Bric à brac, un livre mariant ses œuvres tous médiums confondus, acrylique sur papier, céramique, maquette textile, vaisselle, toutous tricotés main.

Elle m’a toute de suite plu. Il n’y a eu aucun doute. Il y avait une convergence entre nous qui tenait probablement au fait que nous étions de la même génération, je suis son aînée de cinq ans, c’est-à-dire cinq fois rien. Nous avions en commun les poupées, la couleur, les films d’animation, nous étions femme, mère, nous aimions les objets faits mains, le beau, la création.

Puis il y avait ce qui lui était particulier.

Ce mélange d’images “enfantines”, “naïves” jumelés à une façon d’illustrer, très crue : une peinture faites de gestes bruts aux thèmes de contes pour enfant ou de nature morte, des toutous cousus à coup de grosses coutures.

Sa façon d’associer ombre et lumière. Ses images de petits animaux, de peluches, de fruits chaotiquement organisées n’étaient jamais trop polies. Sa relation entre pigments lumineux en avant-plan et obscurs pour les fonds créaient une impression qu’il se tramait quelque chose entre ces deux pôles. Mais quoi? Je dirais quelque chose de la même nature que la terre qui absorbe la lumière pour en faire le terreau d’une biodiversité incroyable.

Comme sa manière d’honorer le petit, le vulnérable, l’ordinaire, en produisant essentiellement des objets de tous les jours, tout ça m’animait parce que ça résonnait avec les qualités dont le gros de ma vie était faite. Autour desquelles j’avais choisis d’évoluer. Mais surtout parce que c’était ce dont j’avais besoin pour cheminer dans mon existence.

Plus je découvrais son œuvre, plus j’avais envie de la retrouver. Elle ne cessait de me conquérir tant par la beauté que l’audace dont elle insufflait son travail. Quand je l’ai vu se mettre en scène, comme pour Astier de Vilatte, devenant le petit chaperon rouge pour nous présenter ses champignons en céramique, mes yeux se sont bridés en un énorme sourire. Alors que mon cœur rayonnait quand je m’imaginais porter un de ses foulards carré de soie.

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Sa constante représentation de la nature réimprimait en moi mon lien avec le Vivant. Par exemple, derrière l’organisation esthétique de son papier peint Jardin crème, il n’y avait pas de doute, ça sentait encore la terre, l’humus, le vert, tout ce nécessaire pour qu’il y ait fertilisation, germination, éclosion, hibernation, compostage de mon quotidien. Dans Forêt noire, c’était l’état sauvage des choses qu’elle faisait briller dans la nuit, avec ses animaux aux couleurs vibrantes tranchants sur un fond noir enfeuillé de gris. Sa façon de faire résonné ce mouvement viscéral qu’est l’instinct pour quiconque veut créer, une œuvre ou une vie, me faisait le plus grand bien.

Sans compter qu’elle rafraichissait ma psyché en se réappropriant les images iconiques de Mickey, Bambi ou de la Tour Eiffel, qu’elle combinait à un vocabulaire déjà bien garni de fleurs, de légumes, d’oiseaux. J’aimais qu’elle les réunissent sur tout et n’importe quoi, des jouets pour bébé chez Vilac, aux lampes et coussins pour Domesctic, aux valises de Monoprix, à sa collection de robe pour Anthropologie, ou encore aux roches, aux urnes funéraires pour ce qui est de sa collection personnelle. Une vraie touche à tout.

Pourtant ce n’était pas comme ça que je la percevais. J’avais même l’impression que cet “éparpillement” était très secondaire. Si elle passait d’un médium à un autre c’était qu’elle suivait son mouvement intérieur, jouait avec, lui répondait. C’était que le monde n’était pas une chose à l’extérieur à elle. Elle était elle-même UN univers où toutes les facettes du réel se manifestaient.

Et faisait, par le fait même, émerger à ma conscience cet univers que j’étais.

Alors comment devant une oeuvre comme la sienne, qui transpirait l’authenticité, une singularité si assumée, ne pas tomber en amour jusqu’à en être transformée? À ce point que…

Quand j’ai d’abord pensé à acheter l’assiette POUR TOI, avec son cœur vase à fleurs, c’est qu’il me semblait que ses mots t’étaient destinés. Mais une fois à la maison, après l’avoir installée sur une table d’appoint pour en profiter en attendant un jour de te l’offrir – en décembre 2013, tu venais d’avoir un an, j’avais donc le temps – cette assiette a fait bien plus que me délecter les yeux, elle m’a contaminée. Ses mots, son cœur et ses fleurs ont tranquillement fait leur chemin jusqu’à mon cœur, ils l’ont nourri, l’ont réjoui à un moment où ça m’était plus que nécessaire.

Une assiette qui te fait chavirer, ce n’est pas rien. Tu peux comprendre maintenant, pourquoi une œuvre, qui ne craint pas d’être vraie, qui invite à regarder la réalité avec un autre oeil, au-delà de nos zones d’inconfort, au-delà de nos perceptions bien établies, à la regarder tel qu’elle est, drôle, intrigante, terrifiante, imparfaite, mais toujours vibrante, a pu être une balise dans la vie de ta grand-mère. Une immense joie.

© Marie Cornellier 2014